Visite d’Aman-Jean au Sémaphore de Lucien Simon

Son parcours d’artiste

Lucien Simon n’était pas prédisposé par son milieu familial à une carrière d’artiste. Son père, docteur en médecine, d’esprit scientifique et philosophique, sa mère issue d’une famille de commerçants et de juristes n’ont cependant pas fait obstacle à son orientation précoce vers l’art et la littérature. C’est assez tardivement, à l’époque de son service militaire, qu’il se tourna résolument vers le dessin et la peinture.

Un apprentissage marqué par la découverte d’œuvres et d’artistes 

À l’académie Julian, récemment créée, il reçut des leçons utiles de maîtres tels que Tony Robert-Fleury. Il eut surtout la chance d’y rencontrer des camarades parmi lesquels plusieurs, issus de milieux intellectuels, devinrent de vrais amis qui l’encouragèrent à poursuivre dans cette carrière de peintre. Ils l’introduisirent dans des cercles d’écrivains et d’artistes où Lucien Simon trouva ce qui lui manquait.

Un autre élément, le plus important peut-être, de sa formation a été le contact avec les grands maîtres anciens, au musée du Louvre notamment. Au cours d’un voyage qu’il eut l’occasion de faire aux Pays-Bas, il a été profondément marqué par les œuvres de Franz Hals qui ont beaucoup influencé sa conception de la peinture. Ultérieurement, la découverte et l’analyse des œuvres de peintres tels que Vélasquez, Ghirlandaio et Delacroix ont eu une influence certaine. Mais lui-même se considérait comme un autodidacte ayant beaucoup regardé, beaucoup douté et beaucoup travaillé.

peinture lucien simon bigoudène

Famille bigoudène en deuil – 1912
Huile sur toile, 113 x 155
Collection particulière (en dépôt au musée des Beaux-Arts de Quimper)

1880 – 1890, des débuts en lien étroit de compagnonnage artistique avec d’autres peintres 

Comme il était d’usage à l’époque, il commença par présenter ses premières toiles au Salon des artistes français, sans grand succès auprès de la critique ou du public. Tenté par le découragement, il persévéra cependant. Son effort se porta d’abord surtout vers la figure humaine, portraits ou groupes.

<strong>Photo de la peinture intitulée <em>"Groupe dʼamis"</em> - 1899</strong><br /> Elle représente dans son atelier de Montparnasse, de gauche à droite certains de ses amis artistes : André Dauchez, Edouard Saglio, Charles Cottet, André Saglio et René Ménard.<br /> Cette oeuvre peinte vers 1899, achetée par le Museum of Fine Arts de Pittsburgh a été détruite lors dʼun accident de Chemin de fer aux Etats Unis lors dʼun transport pour Chicago en 1905 où elle devait être exposée.<br /> Des esquisses de cette oeuvre existent dont une grande au Musée du Petit Palais à Paris.

Photo de la peinture intitulée « Groupe dʼamis » – 1899

Elle représente dans son atelier de Montparnasse, de gauche à droite certains de ses amis artistes : André Dauchez, Edouard Saglio, Charles Cottet, André Saglio et René Ménard.

Cette oeuvre peinte vers 1899, achetée par le Museum of Fine Arts de Pittsburgh a été détruite lors dʼun accident de Chemin de fer aux Etats Unis lors dʼun transport pour Chicago en 1905 où elle devait être exposée.

Des esquisses de cette oeuvre existent dont une grande au Musée du Petit Palais à Paris.

En 1890, un groupe de jeunes peintres, lassés de l’autoritarisme académique du Salon traditionnel des artistes français, firent sécession et, sous la conduite de maîtres tels Rodin, Puvis de Chavannes, créèrent la Société nationale des Beaux-Arts qui institua un nouveau Salon, plus ouvert aux conceptions nouvelles. La plupart des amis de Lucien Simon s’y rallièrent, tels que Prinet, Aman-Jean, Dinet, Jacques-Émile Blanche et quelques autres. Lucien Simon les rejoignit bientôt et dans cet environnement plus favorable conquit très rapidement la faveur de nombreux critiques d’art et d’amateurs. L’État lui acheta pour la première fois en 1893 une toile intitulée Fin de séance. Dès lors sa carrière était lancée et les années suivantes l’intérêt du public comme des institutions ne fit que grandir en France et à l’étranger.

1890-1900, un succès qui ne se démentira pas au long de sa carrière 

Le mariage de Lucien Simon avec Jeanne Dauchez, en 1890, elle-même peintre de talent et sa découverte de la Bretagne vont marquer un tournant dans sa carrière. La vie de famille sera une nouvelle source d’inspiration pour lui et le sujet de nombreux tableaux (Dîner à Kergaït, La causerie du soir, Madame L. Simon et ses enfants) même dans des scènes allégoriques (La musique, La peinture) où ce sont des membres de la famille qui sont représentés.

Causerie du soir Lucien Simon

Causerie du soir ou Fin de repas à Kergaït – 1901
Huile sur toile, 140 x 190
Stockholm, Nationalmuseum

 

Madame Lucien Simon et ses enfants

Madame Lucien Simon et ses enfants – 1903
Huile sur toile, 171,5 x 193,5
Budapest, musée des Beaux-Arts

L’implantation familiale dans le Finistère en 1893, surtout à partir du moment où Lucien et Jeanne Simon achètent à Sainte-Marine un sémaphore désaffecté, va permettre au peintre de découvrir la Bretagne (et singulièrement le pays bigouden peu connu jusque-là) et ses habitants dans leurs attitudes et leurs costumes si particuliers. Une grande partie de son œuvre y trouvera son inspiration.

Sa réputation se confirme, associée au groupe appelé « Bande noire » par la critique, sans doute par opposition aux claires toiles impressionnistes, où l’on retrouve avec Charles Cottet une grande partie de ses camarades de jeunesse tels Ménard, Prinet, André Dauchez, tandis que d’autres auxquels il reste très lié développent des orientations différentes (Aman-Jean, Desvallières, Maurice Denis, par exemple).

L’exposition décennale d’art de l’Exposition universelle de Paris en 1900 apporte une consécration officielle à sa carrière. Il y obtient la médaille d’or et est nommé chevalier de la Légion d’honneur, tandis que l’État achète pour le musée du Luxembourg la Procession à Penmarc’h et Coup de vent.

Coup de vent Lucien Simon

Coup de vent – 1902
Huile sur toile, 67 x 107
Moscou, musée Pouchkine

1900-1924, une notoriété qui se confirme avec une grande production artistique

Les premières années du xxe siècle, jusqu’à la guerre de 1914-1918 voient la confirmation de la place de premier plan de Lucien Simon que l’on associe souvent à son ami Cottet. Mais tandis que celui-ci continue à évoquer dans des toiles sévères la dure condition de vie des pêcheurs bretons, Simon se plaît à peindre les foules des pardons et des bals populaires avec une palette de plus en plus colorée. De nombreux amateurs recherchent ses toiles exposées non seulement dans les grands Salons français ou étrangers mais aussi dans de nombreuses galeries lors d’expositions personnelles ou collectives.

Puissant dessinateur, il parcourt la Bretagne un carnet de croquis à la main, notant une silhouette, une attitude, une sortie de messe, des marins sur un quai ou une paysanne remuant des gerbes. Il transpose ses dessins sur des esquisses et travaille ses compositions sur des toiles de formats différents, jusqu’à l’œuvre définitive, avec une étonnante virtuosité.

Sa famille est également pour lui une source d’inspiration, qu’il s’agisse des portraits de sa femme, de ses enfants ou petits-enfants, dans des scènes de jeux ou de déguisements.

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Préparation au bal costumé de Lucien SImon

Préparation au bal costumé
Lucien Simon
Vers 1925-1926

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Dominique et Noël costumés de Lucien Simon

Dominique et Noël costumés – 1924
Huile sur toile, 44,5 x 52
Collection particulière

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Enfin, de ses fréquents voyages, notamment en Italie, il ramène le thème de grandes compositions, religieuses pour certaines.

Les succès parisiens ont leurs prolongements à l’étranger et Simon figure dans les expositions de peinture contemporaine en Allemagne (Munich, Dresde, Karlsruhe, Berlin), en Italie (Venise), à Barcelone, Budapest, Liège, jusqu’en Russie (Saint-Pétersbourg et Moscou), au États-Unis (Pittsburg) et au Japon.

Lucien Simon est un artiste sensible, indépendant des modes. Sa peinture s’est éclaircie, rapprochée de celle des impressionnistes, tout en conservant ses caractéristiques de composition solide et originale et de virtuosité d’exécution. C’est toujours aux figures et aux silhouettes humaines qu’il s’intéresse, ses modèles sont vivants, il en suggère le tempérament, l’activité. Mais aussi, il sait saisir un effet de lumière fugitif, comme faire revivre l’ensoleillement d’un après-midi d’été, la douceur du soir ou l’inquiétante lumière d’un ciel d’orage. Aucun personnage n’est figé, il est toujours entraîné par le mouvement de la vie, du vent, de la route ou du travail.

 

La guerre de 1914-1918 a provoqué un profond bouleversement dans tous les domaines. L’âge (53ans) et une santé fragile l’ont éloigné d’une participation directe mais il souffre de voir la France meurtrie, son fils Paul est fait prisonnier, il soutient l’organisation d’une exposition d’art français à New York au bénéfice des œuvres de guerre, en 1916 ; en 1917, il est envoyé en mission sur le front pour y dessiner ce dont il est témoin.

Pendant ses séjours dans sa propriété de Bretagne, il peint l’arrivée et le départ des permissionnaires, les femmes au travail en l’absence des hommes… Mais peut-être pour échapper à l’angoisse de ces années noires, il peint de grandes toiles représentant des fêtes, des mascarades inspirées de Tiepolo, très colorées. Il s’écarte aussi du temps présent en s’inspirant de l’Antiquité en prenant comme thème Nausicaa à la fontaine.

Parade foraine à Kérity - 1941, Collection particulière de Lucien Simon

Parade foraine à Kérity – 1941
Huile sur toile, 140 x 245
Collection particulière

Des commandes de grands formats

Les années qui suivent l’amènent à entreprendre de grandes décorations murales.

En souvenir des morts de la guerre, il peint pour l’église Notre-Dame du Travail à Paris, dont le curé, l’abbé Chaptal, est un ancien camarade de collège, deux grandes peintures destinées à orner le baptistère.

Peu après, l’État lui commande la décoration d’un grand escalier du Sénat où il peut donner la mesure de son talent dans quatre immenses panneaux représentant la fin des combats et le retour aux activités pacifiques dans lesquels on retrouve les thèmes chers au peintre : sa famille dont tous les membres seront des modèles, les Bretons au travail, la musique et la vie intellectuelle. Le plafond fut commandé à son ami Maurice Denis. L’ensemble fut inauguré très solennellement par le président de la République en 1929.

D’autres grandes décorations sur des thèmes différents ont suivi cette grande œuvre : la chapelle des missions à l’Exposition coloniale de 1931 ; le Cercle naval de Toulon, en 1933, comportant quatre grands panneaux inspirés d’œuvres de Pierre Loti ; le chœur de l’église de la Robertsau, près de Strasbourg ; enfin le pavillon du grand-duché du Luxembourg à l’Exposition universelle de 1937 à Paris, pour lequel il dut réaliser trois immenses toiles représentant des scènes typiques et des paysages de cette principauté.

Une indépendance forte 

De ses voyages à l’étranger, Italie, Espagne, Maroc, Sénégal, Argentine, Brésil, Simon rapporte de nombreuses peintures qui sont présentées à côté d’autres relevant de ses thèmes habituels, scènes bretonnes et familiales, au cours de nombreuses expositions personnelles, tant à Paris qu’à Bruxelles et jusqu’à Pittsburg et Buenos Aires. Il continue à participer aux Salons, notamment à celui de la Société nationale des beaux-arts, pendant de nombreuses années, mais il le quitte quand il le trouve trop conformiste pour accompagner ses amis au Salon des Tuileries, puis au Salon national indépendant, à la suite de désaccords avec les animateurs des Salons traditionnels.

Pendant toute cette période, il recourt à toutes les techniques, notamment des grandes aquarelles étonnantes de virtuosité ; il fait quelques gravures avec son beau-frère André Dauchez et réalise l’illustration de livres : Le Poison d’Edmond Haraucourt, Le Livre de l’Émeraude d’André Suarès, Pêcheur d’Islande de Pierre Loti, pour lesquels il reprend thèmes et personnages familiers de son œuvre.

Un enseignement qui l’occupera avec passion et reconnaissance de nombre d’élèves

Lucien Simon entouré de ses élèves des Beaux-Arts vers 1930

Lucien Simon entouré de ses élèves des Beaux-Arts vers 1930

Au milieu de ce travail personnel d’artiste peintre, Lucien Simon attache beaucoup d’importance à son rôle de formation des jeunes artistes. Professeur à l’académie de la Grande Chaumière dès les débuts de celle-ci en 1904, ainsi qu’à d’autres ateliers privés, il est nommé, en 1923, professeur chef d’atelier de peinture à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et, jusqu’en 1937, y acquit une grande réputation de maître attentif et libéral.

Les séances de l’Institut où il est élu en 1927, les réunions du Conseil supérieur des musées nationaux, la direction du musée Jacquemart-André, toutes ces activités le fatiguent sans l’empêcher de se remettre à peindre avec acharnement, quand il est à l’abri de ces sollicitations, dans son atelier de Bretagne.

1939-1945, dernier refuge dans la lumière bretonne qui l’a toujours inspiré 

La Seconde Guerre mondiale survenant en 1939 l’amène à résider plus souvent dans son Sémaphore pour sauvegarder ce foyer familial. Il y reprend une vraie activité de peintre inspiré par les paysages les plus proches. Il a plus de 80 ans et est de plus en plus fatigué mais il travaille sans relâche dans son atelier. Il se sert de ses croquis anciens pour de nouvelles compositions et réalise encore trois grandes toiles destinées à l’œuvre des Abris du marin pour décorer leur plus récent établissement.

Intimité de Lucien Simon

Intimité – vers 1942-1944
Huile sur toile, 81,5 x 100,5
Quimper, musée des Beaux-Arts

Il se peint, ainsi que sa femme, dans leur intimité, n’ayant plus guère d’autres modèles à sa disposition.

C’est là qu’il a le bonheur de voir la Libération et que, usé par le travail et la maladie, il meurt le 13 octobre 1945. Il est enterré au cimetière de Combrit.