TEXTE DE ROSELYNE JAVRY ET DE DOMINIQUE BOYER


Mise en valeur de la Stèle de l’Église paroissiale de Combrit Sainte-Marine

Lucien Simon avait acheté l’ancien Sémaphore de Sainte Marine à l’embouchure de l’Odet sur la commune de Combrit, en 1901. Il s’y est attaché, y a beaucoup travaillé jusqu’à la fin de sa vie. C’est là qu’il est mort en octobre 1945 et il est enterré dans le cimetière de Combrit qui entourait à cette époque l’église paroissiale. La silhouette de cette église apparait dans un certain nombre de ses œuvres, et il a aussi à plusieurs reprises, fixé l’image des hommes et des femmes assistant aux cérémonies religieuses à l’intérieur. Peu de gens se souvenaient qu’il avait réalisé une œuvre pour l’église elle-même en contribuant au monument aux morts de la paroisse après la Grande Guerre de 1914-1918. Ce monument vient d’être opportunément restauré à l’initiative de la municipalité de Combrit et va être inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques et peut être Classée. C’est l’occasion de présenter cette peinture peu connue et d’en évoquer la genèse.

L’église Saint Tugdual de Combrit, Bretagne

L’église paroissiale de Combrit est dédiée à Saint Tugdual, considéré comme l’un des sept saints fondateurs des évêchés de Bretagne. Les parties les plus anciennes de cet édifice datent de la fin du XIVème et du XVème siècle. Aux XVIème et XVIIème siècles, l’église s’agrandit vers le sud et l’ouest dont la façade porte la date de 1663. L’église Saint Tugdual sera en 1675 le point de départ de la « Révolution des Bonnets Rouges » contre les impôts imposés par la royauté. En représailles, son clocher fut arasé sur ordre de Louis XVI de même que ceux des ….. chapelles et églises du pays bigouden.

Cette église est remarquable à plus d’un titre :

  • Les poutres sablières des XVI et XIX ème siècles se caractérisent par leur originalité (et sont maintenant bien éclairées)
  • La statuaire très riche est en partie classée ou inscrite au titre des Monuments historiques
  • Quatre vitraux ont été dessinés entre 1935 et 1986 par le peintre Pauline Simon de la Jarrige, fille de Lucien Simon.
  • Une stèle, placée dans la Chapelle sud,  commémore la Grande Guerre de 1914-1918 et rend hommage aux morts de la commune. Un triptyque de trois petites peintures, œuvres de Lucien Simon couronne cette stèle.

La commande initiale

Comme partout en France et spécialement en Bretagne, les victimes de la Grande Guerre ont été nombreuses à Combrit, plus de 135, pour ce qui était alors un modeste village de paysans et de marins. L’idée de placer dans cette église un monument au morts de la paroisse revient au recteur (appellation traditionnelle du curé dans la région) Pedel. En 1923, celui-ci avait demandé à Monsieur Boucher, sculpteur résidant à Scaër, non loin de Combrit, de concevoir un monument aux morts en bois, à ériger dans l’église de Combrit ; Les patronymes des Combritois morts ont été inscrits dans le cuivre par le graveur Mialin de Quimper.

Dans une lettre à Lucien Simon datée du 27 avril 1923, le recteur Pedel demande à celui-ci de vouloir bien contribuer à la beauté du monument en y incorporant trois panneaux peints dont il indiquait avec précision les motifs et les dimensions, ajoutant « je sais que cela ferait le plus grand plaisir à tous nos paroissiens, nos morts auront ainsi un monument digne d’eux ».

Le recteur Pedel

Recteur Pedel par Lucien Simon ou Intérieur de cure, 1905
Autre titre selon le catalogue Bernheim jeune, dimensions encore inconnues. Musée Royal des Beaux-Arts de Bruxelles

Le futur chanoine Pedel, en charge de la paroisse depuis le début du siècle jusqu’à sa mort en 1932, avait beaucoup d’autorité et d’efficacité. Lucien Simon le connaissait bien et avait même fait son portrait en 1905. Ce portrait a figuré en 1906 à l’exposition la Société Nouvelle à la galerie Georges Petit et avait été remarqué et loué : «  un portrait superbe de simplicité et de vigueur ramassé, qu’il s’agisse de modelé, de la saveur du coloris ou de la vérité morale. On y pressent déjà le tableau du musée, le nouveau qui sera classique »[1]. Dans l’Express (de Liège) un article signalait « cet excellent portrait d’un curé solide, vivant et bon vivant », or ce tableau est maintenant au Musée Royal des Beaux-Arts de Bruxelles, acquis en 1948 sous le titre Intérieur de Cure après avoir figuré à l’exposition Lucien Simon à la galerie du Studio à Bruxelles sous le titre L’abbé en 1922.

Le triptyque

Si maintenant on en vient aux peintures elles-mêmes, on peut constater qu’elles sont tout à fait conformes aux vœux du chanoine Pedel. Elles consistent tout d’abord en deux panneaux de dimensions (0,36 x 0, 45) : l’un figurant une tranchée avec plusieurs fantassins en bleu horizon dont un blessé s’effondrant, l’autre des matelots agrippé à des espars en plein mer avec à l’arrière-plan la silhouette de leur navire en train de sombrer, après avoir été torpillé par un sous-marin allemand.

Tranchée avec plusieurs fantassins en bleu horizon dont un blessé s’effondrant. Panneau de gauche de la stèle.

Tranchée avec plusieurs fantassins en bleu horizon dont un blessé s’effondrant. Panneau de gauche de la stèle.

Matelots agrippés à des espars… Panneau de droite de la stèle.

Matelots agrippés à des espars… Panneau de droite de la stèle.

Ces deux scènes, par le raccourci de leur composition et le choix des couleurs froides, crépusculaires sont expressives et émouvantes, d’un cruel réalisme. À signaler que la scène de la tranchée a été reprise dans l’une des décorations de l’église N.D. du Travail à Paris, mais en une bien autre dimension.

Au centre le troisième panneau conformément au vœu du recteur de Combrit évoque dans un style différent le thème de la Piéta si souvent représentée dans les églises et calvaires de Bretagne, venant ici rappeler la signification chrétienne du sacrifice. La fille de Lucien Simon, Charlotte Aman-Jean a collaboré à l’exécution de cette peinture, c’est pourquoi sa signature accompagne celle de Lucien Simon.

La restauration

« Les trois petites toiles de Lucien Simon ont retrouvé leur place sur la stèle de l’église paroissiale. Les outrages du temps ont été réparés par l’Atelier Ruel de Nantes. Les châssis, très endommagés par les insectes, ont été changés et l’arrière de chaque toile a également été protégé. Tous les percements, éraflures et déchirures ont été restaurés et on peut désormais apercevoir les deux signatures de Lucien Simon. La première étant à l’origine cachée par le bois de la stèle, il a signé une seconde fois ; à cette signature s’est ajoutée celle de sa fille Charlotte Aman-Jean, belle fille du peintre symboliste du même nom.« 

Roselyne Javry, Maire-Adjoint Culture et Patrimoine, Extrait de la revue municipale de Combrit Sainte-Marine de janvier 2011.

[1] Art et Décoration, mai 1906


TEXTE DE ROSELYNE JAVRY ET DE DOMINIQUE BOYER