La Voile bleue à Venise
Aller à Venise pour un amateur de peinture c’est avoir rendez-vous avec les peintres des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles ; Giorgione, Titien, Tintoret, Véronèse, Canaletto, Guardi, Tiepolo et tant d’autres… au palais des Doges, à l’Accademia, à la Scuola grande di S. Rocco (c’est là que sont les plus somptueux Tintoret) et dans tant d’églises et de palais.
Mais si l’on s’arrête le long du grand canal au Ca’ Pesaro, palais abritant le Musée d’art moderne, on peut aussi y voir en bonne place un grand tableau de Lucien Simon, « La Voile bleue » ou « La Voile ». Le musée l’intitule « La Barca » ou « The Boat » ou « Le Bateau » selon le cartouche, le catalogue ou la langue.
Très lumineux, ce tableau représente une barque à l’embouchure de l’Odet, barrée par Paul Simon, le fils de Lucien, dans laquelle les deux jeunes sœurs de celui-ci, Charlotte et Lucienne, se laissent conduire par le vent qui gonfle doucement une misaine bleue. La mer est calme avec de clairs reflets argentés et l’on aperçoit le phare du Coq sur la rive de Bénodet.
Quittons un moment les eaux saumâtres de la lagune et l’air souvent étouffant de la ville des Doges, ce tableau représente une bouffée d’air breton. Les critiques d’art qui ont voulu désigner le groupe de Lucien Simon et de ses amis sous l’appellation « Bande Noire » n’avaient sans doute pas vu cette œuvre…
Acquisition par le Palais Ca’ Pesaro de ce tableau lors de la Biennale de 1912
La Voile bleue ou Le Bateau est exposé dans ce musée depuis 1912, ayant été acheté par la ville de Venise à la Biennale de cette année-là où Lucien Simon avait une exposition particulière. Cet achat s’est fait dans le cadre d’une politique de constitution d’une collection d’art contemporain : « La collection d’art moderne de la ville de Venise – attribuée à ce qui a été appelé alternativement la Galerie internationale d’art moderne ou le Musée d’art moderne – a été constituée grâce à la Biennale… dont la première date de 1895. » (Catalogue français du musée Ca’ Pesaro, Galerie internationale d’art moderne)
Dans le catalogue, ce tableau est bien représenté sur une pleine page (p. 111) avec la légende suivante :
N° 83. Lucien Simon
Le bateau
Huile sur toile, 228 x 150 cm
En bas, sur le rebord à droite : Simon Acquisition à la Biennale, 1912Après avoir épousé la sœur d’un peintre breton, Simon s’établit en Bretagne à Combrit-Sainte-Marine dans les premières années du XXe siècle ; il se consacre alors intensément au folklore local, de préférence avec des sujets gais et pleins de mouvements soutenus par des choix chromatiques de type postimpressioniste. Le peintre s’intéresse également à la famille, aussi bien dans des scènes d’intérieur que, comme dans le cas de ce tableau, dans des scènes en plein air ; son autoportrait* avec ses deux filles –Lucienne et Charlotte- par une journée de vent et de soleil, est une bonne occasion de peindre une scène moderne, photographique, caractérisée par de grandes taches de couleur, notamment la grand voile bleue, qui assume ainsi un rôle de premier plan. Le but, dans un cas comme celui-ci, n’est plus de représenter le paysage breton (l’entrée du port de Bénodet) relégué en arrière-plan et ne correspondant que vaguement à la réalité, mais de rappeler certaines œuvres de peintres impressionnistes bien connues, où ces derniers avaient justement fait d’un bateau une sorte d’atelier provisoire dans certains cas.
*commentaire de la rédaction du site web : il ne s’agit pas d’un autoportrait de Lucien Simon avec ses deux filles, il s’agit bien sûr de Paul, son fils et de ses deux filles : Il faudra demander au musée de faire rectifier pour leur prochaine édition.
Exposé dans le grand Salon à côté d’une très belle sélection de peintres qui lui sont contemporains
Le grand salon à l’étage noble, ou salon d’honneur, au premier étage du musée du Ca’ Pesaro reste l’axe central de l’exposition dans le nouvel aménagement datant de 2002, et où l’on trouve des œuvres venant de diverses Biennales. Le tableau de Lucien Simon y côtoie de très belles toiles de fin du XIXe-début du XXe siècle. Des peintures de Bonnard, Chagall, Kandinsky, Cottet (avec une grande toile intitulée La Procession de Saint-Jean en Bretagne), Joan Miro, Albert Marquet, Max Ernst… et de tant d’autres peintres, méritent d’y être vues.
par Dominique Boyer, petit-fils du peintre